Hostiles (Scott Cooper, 2017) : analyse du film
- Les Têtes Vides
- 18 avr. 2020
- 17 min de lecture
Western crépusculaire réalisé par Scott Cooper, Hostiles est incontestablement mon film préféré. Ayant fait une sortie discrète dans nos salles obscures, il a très peu fait parler de lui bien qu'il ait bénéficié d'une distribution haute gamme (Christian Bale et Rosamund Pike en tête d'affiche) et d'une critique plutôt favorable. J'ai donc décidé, afin de lui rendre hommage, d'en faire une analyse linéaire selon une thématique choisie qui est celle de "la dualité de l'Homme face à la Nature". Il s'agit bien entendu d'une analyse qui m'est toute personnelle et qui reste parfaitement discutable, n'hésitez donc pas à réagir en commentaire !
/!\ SPOILERS /!\

Hostiles : la dualité de l'Homme face à la Nature.
Ciel orageux, éclair foudroyant et un homme seul en plein désert en proie à des passions trop longtemps intériorisées. Joe Blocker (Christian Bale), dont les hurlements sont couverts par une musique allant crescendo et le grondement du tonnerre, semble piégé sur cette terre aride et crier au crépuscule dans un acte cathartique. Le montage est rapide, à l'instar de la respiration saccadée du soldat coincé entre terre et ciel, ces deux éléments qui occupent une place proportionnelle dans le cadre. Nous assistons en somme à une scène en clair-obscur où les éléments naturels, par leur déchaînement, s'imposent comme l'expression d'une intériorité qui peine à rester contenue ou à être pleinement assumée. De plus, le rapport à la terre est particulièrement remarquable puisque l'un des plans montre Joe, une arme entre les mains, creusant la terre poussiéreuse à la fois comme pour retrouver racine et comme en quête de transcendance, de ce qui pourra lui apporter la lumière, le salut, la rédemption.


A cette scène fait écho celle où Rosalie Quaid (Rosamund Pike) va pour enterrer sa famille. En effet, elle creuse dans un premier temps les tombes à main nue. Cependant, ici le montage est moins impulsif et la musique n'étouffe pas les cris de Rosalie lorsqu'elle extériorise enfin sa peine et admet, devant les soldats spectateurs de la scène, les événements tragiques qu'elle vient de vivre. Quelques minutes plus tard, Rosalie se rend là où elle a enseveli mari et enfants, et l'arme qu'elle porte suggère une volonté de se donner la mort, comme pour retrouver ceux qu'elle a perdu. C'est Joe qui l'empêche de commettre l'irréparable sans doute dans un acte d'empathie, lui même ayant été tenté un peu plus tôt.


Ainsi, la relation entre ces deux personnages est déjà bien établie. Ils ont vécu des expériences similaires, Joe vivant le deuil de ses hommes et Rosalie celui de sa famille, mais ils ne sont pourtant pas traité de la même façon dans le film. Effectivement, s'ils recherchent tous les deux la même chose -sortir de cet espace entre terre et ciel et/ou trouver sa place- ils n'empruntent pas les mêmes chemins pour y parvenir. Rosalie paraît plus encline à la résignation que Joe qui multiplie les vengeances au nom d'une prétendue mission. Joe se cache sous une apparence dure et froide en refusant de voir sa véritable nature, laquelle gronde et menace d'éclater à tout moment à l'image d'un orage soudain et assourdissant. C'est donc par cette différence de traitement des personnages qui sont pourtant fondamentalement les mêmes, que le film expose par l'intermédiaire de la Nature -au sens de l'espace et de l'environnement dans lequel l'humanité évolue- ce qui définit l'Essence (la nature) même de l'Homme : sa dualité. La Nature met effectivement l'Homme à l'épreuve et le confronte à ses rivalités intérieures en le laissant néanmoins faire ses propres choix. De cette façon, si tous les Hommes sont essentiellement égaux, il leur appartient de déterminer l'issue qui sera la leur ce qui les ancre dans une ambivalence constante jusqu'à ce qu'ils assument cette dualité et choisissent d'avancer. Nous verrons ainsi comment Hostiles met en avant cet aspect de l'Homme face à la Nature en développant dans un premier temps une partie sur l'absence de manichéisme et l'Homme coincé entre l'ombre et la lumière ; dans un second temps, il convient de montrer comment la Nature s'inscrit entre symbolisme et expressionnisme et détermine ainsi les étapes franchies au cours de la quête et chez les personnages ; pour finir, nous verrons que la Nature se montre ambivalente pour mettre à l'épreuve et révéler la dualité de l'Homme.
Premièrement, le film débute avec une citation de D.H. Lawrence :
« L'âme fondamentale de l'Amérique est dure, isolée, stoïque et meurtrière. Jamais encore elle ne s'est adoucie. ».
Dans le contexte du film, celle-ci peut renvoyer à l'essence même de l'Amérique qui fut le territoire de nombre de violences et de massacres, révélant l'âme brute de ces nations qui constituent aujourd'hui le peuple américain et qui n'ont jamais cessé depuis de lutter entre elles. Ainsi, nous sommes confrontés à un postulat dans le film qui implique que l'Homme est fondamentalement froid et assassin. Cependant, la scène d'introduction ne laisse aucun doute quant à l'absence de manichéisme puisque nous pouvons constater que si les Comanches commettent des meurtres abominables, n'épargnant ni femme ni enfants en s'attaquant à la famille de Rosalie, c'est l'homme blanc qui ouvre le feu et démarre les hostilités. Par conséquent, l'acte de guerre est déclaré par un parti mais le massacre est commis par un autre et, bien que cela semble démesuré, il s'agit aussi de montrer que la rudesse de l'âme ne dépend pas d'une culture ou d'une autre mais plutôt d'une nature enfouie et présente chez chacun des hommes. Par ailleurs, de façon plus abstraite, il semble que les personnages, et notamment Joe Blocker, fassent l'objet d'une représentation baroque montrant la rivalité entre l'ombre et la lumière et révélant les tourments et les contradictions qui les animent. Effectivement, dans un premier temps Joe apparaît comme un être glacial, sévère et arrogant. Mais les traces d'ambivalence sont pourtant légion dès le début du film. Joe lit César -grand conquérant et dictateur sous l'Empire Romain qui fut assassiné- et justifie ses actes par des missions ou des ordres supérieurs. D'ailleurs, dans cette scène se trouvent juste derrière lui des armes de guerre, faisant de lui un homme de main, l'opposant au colonel placé devant une carte tel un homme de stratégie et de réflexion . Il se déresponsabilise tandis qu'il ne nie pas avoir pris du plaisir à tuer après en avoir été accusé par un journaliste. Ainsi, Joe Blocker sous l'apparence d'un homme rigoureux et franc rejette ses fautes et se fait pleutre alors que le colonel lui rappelle que « [lui] non plus [n'est] pas un ange ». De plus, ayant toujours servi loyalement, il tend à l'insubordination lorsque son supérieur lui ordonne son ultime mission, celle de conduire Yellow Hawk -qui est mourant- ainsi que sa famille jusque dans le Montana. Joe exprime clairement sa haine tout en faisant preuve de bonté en parlant de ses hommes dont il se soucie particulièrement, ce qui montre que ses actions sont mues par vengeance (mais aussi et sûrement par racisme) et donc dans une volonté de rendre justice, ce qui sur le principe semble honorable mais s'avère aporétique dans ces circonstances de guerre. Ainsi, Joe est un homme au prise avec sa dualité, qui tente de rendre légitime ses actes tout en refusant d'accepter ce qu'il est.Cela est visible esthétiquement notamment dans la scène qui suit celle de l'ordre de mission. En effet, adossé à un mur Joe apparaît éclairé de façon hémiplégique ne laissant voir en lumière que la partie gauche de son visage et de son corps, l'autre moitié baignant dans l'obscurité. Ce contraste relevé par le clair-obscur de la scène révèle de façon visible la dualité de Joe et de ses passions qui s'opposent. Juste après, Joe se rend auprès de Yellow Hawk. Dans cette scène, une nouvelle fois Joe apparaît situé entre ombre et lumière comme le suggère l'arrière plan divisé verticalement en deux, la partie gauche étant lumineuse et la partie droite très sombre.

De plus, une autre opposition se crée à cet instant : celle qui met Joe face à Yellow Hawk.

Ce dernier, est de profil à l'inverse de Joe qui apparaît de face ce qui ne laisse voir qu'une partie ombragée de son visage. Ainsi, une parfaite opposition se fait entre les personnages qui s'avèrent être chacun la némésis de l'autre. Les deux hommes sont séparés par la porte de la prison qui retient le chef indien ce qui donne l'impression que Joe est également prisonnier, et plus précisément détenu de son ambivalence. Par conséquent, bien qu'opposés, Joe et Yellow Hawk se ressemblent.
Les jeux de lumière reviennent de façon récurrente dans le film. Plus tôt, lors de la scène de discussion entre Joe et son ami -et bras droit- Thomas « Tommy » Metz par exemple, le clair-obscur opposant les deux personnages était déjà frappant. Joe apparaît en lumière contrairement à Metz tandis que le premier a troqué son uniforme pour un un vêtement blanc et informel et que le second est toujours en tenue de service. Pourtant c'est Metz qui ne supporte plus sa condition de soldat alors que Joe semble fier de ce qu'il a pu accomplir. Cette scène montre alors un moment où Joe était encore dans la certitude de lui même et qu'il agissait de façon claire et assurée, un instant où sa dualité ne s'est pas encore manifestée tandis que son camarade sombre dans la « mélancolie », en proie à tout ce qui le tourmente. Mais dès lors, Joe bascule dans cet entre-deux, entre le clair et l'obscur, dans cette dualité longtemps refoulée. Plus tard dans le film, alors que le convoi s'arrête à Winslow, Joe se retrouve d'ailleurs pris entre deux parties : celui de la femme qui défend les indiens et dénonce les pratiques du gouvernement à leur égard et celui du caporal qui soutient et applique les décisions de l'Etat. La mise en scène plaçant Joe entre les deux époux qui se font face à la fois physiquement et dans leur discours montre bien qu'il est à la jonction de deux extrêmes, tout comme Rosalie à ce moment là.


Par conséquent, il est évident que Joe incarne l'homme frappé par une résurgence de ce qui le définit fondamentalement et qui le pousse à une remise en question le laissant perdu entre terre et ciel, ombre et clarté, vengeance et justice. Cette dualité qui l'anime est en outre perceptible par la mise en scène, mais aussi par l'esthétisme du film qui joue avec les éléments naturels comme la lumière.
Cependant, la Nature a aussi un rôle dans l'expression de cette dualité autrement que via des effets de lumière. Effectivement, les nombreux plans d'ensemble sur le convoi traversant le désert renforce le sentiment que les personnages sont isolés, perdus sur les vastes terres arides de l'ouest qui les mettent à l'épreuve et les confrontent à des situations mettant à mal l'équilibre des forces en eux qu'ils avaient établis. Ainsi, Metz contemple l'horizon puis se tourne vers son ami blessé lors de l'attaque des Comanches comme s'il s'agissait d'une conséquence directe de ces terres désolées, comme si la Nature était responsable de semer guerre, souffrance et mort et qu'elle correspondait à ce que le caporal avait nommé plutôt comme étant un « enfer ». Cela appuie l'ambivalence du personnage qui, tout au long du film, perd sa stabilité et se laisse un peu plus happer par la bile noire. En outre, les forêts sont presque étouffantes, écrasantes sous l'effet de masse de conifères ce qui vient resserrer l'action et s'opposer aux déserts vides et étendus. Ainsi, l'atmosphère devient possiblement plus anxiogène et productrice d'instabilité chez les hommes, lesquels choisissent la plupart du temps de camper dans des clairières pour y échapper.
De surcroît, la Nature et le temps -relatifs à la météorologie et à la durée- sont déterminants de l'action et du parcours intérieur des personnages. D'abord, les scènes se déroulant de nuit et en forêt aboutissent à la mort. Effectivement, une première scène est ainsi remarquable : celle où la fille de Yellow Hawk et Rosalie sont enlevées par des trappeurs alors qu'elles faisaient la vaisselle dans un cour d'eau. Une atmosphère froide et sombre se dégage de ce passage tandis qu'hommes blancs et indiens collaborent. Un soldat perd la vie lors du sauvetage et tous les trappeurs sont également tués. De la même façon, lors d'une nuit similaire sous l'orage et la pluie et alors que les personnages auront pris la décision de monter le camp en forêt pour la première fois, le déserteur récupéré à Winslow s'échappe en tuant un homme. Metz, qui a manifestement sombré de façon irréversible, part le traquer courant vers sa propre mort. Ainsi, dans ces passages la Nature rend plus propice les scènes d'action et prend une dimension tragique puis qu'elle conduit inexorablement vers des tueries. De plus, la notion de temps est très abstraite dans le film. Celui-ci est particulièrement lent et enchaîne les fondus comme ellipses temporelles. Cette technique de transition renforce le sentiment de confusion que peuvent éprouver les personnages et sert aussi à montrer que la Nature prend son temps pour arriver à terme et que l'Homme doit donc se montrer patient.


Par ailleurs, la Nature détermine certaines étapes dans le voyage mais également un tournant pour les personnages. En effet, au milieu du film une scène est consacrée au franchissement d'une rivière par le convoi. Traverser cette frontière naturelle c'est aussi basculer d'un côté à l'autre, passer un obstacle pour aller de l'avant, évoluer en foulant de nouvelles terres, en s'ouvrant à de nouvelles perspectives. Nous pouvons ainsi constater que le film est construit en miroir ou semble subir une sorte de reboot puisque juste après cette scène nous pouvons entendre un thème musical – composé par Max Richter- intitulé A New Introduction tandis que nous découvrons les cadavres des Comanches, en écho à la première scène d'introduction durant laquelle ils étaient les meurtriers et non les victimes. Par conséquent, la Nature s'impose comme fil conducteur de la quête et de ses étapes et semble influencer les personnages dans leur cheminement intérieur. La rivière est alors la métaphore de cet entre-deux dans lequel étaient jusqu'alors piégés certains personnages et sa traversée permet de relancer la quête sur de nouvelles bases pouvant bouleverser l'issue finale des protagonistes. C'est une véritable rupture dans le film et, dès lors, la quête de Rosalie s'achève puisque ceux qui ont massacré sa famille sont morts. D'ailleurs, elle fait face à la résignation peu après, lorsqu'elle se retrouve seule avec le jouet de son enfant dans sa chambre à Winslow.


Par conséquent, la Nature se fait à la fois symbole et expression de la dualité en étant déterminante des actions et des étapes du voyage. Néanmoins, elle se montre ambivalente pour confronter l'Homme à toutes les issus possibles pour lui et, si elle le guide, elle le laisse pourtant faire ses propres choix révélant ainsi que la dualité n'est pas une fatalité.
Ainsi, l'homme doit faire face à la Nature et, en conséquence, à sa propre nature. Cependant, la tache est ardue et, en plein dilemme existentiel, Joe est un homme qui s'enfonce dans le déni ou qui rejette en permanence ce que la Nature cherche à lui apporter. La scène de rencontre avec le déserteur est révélatrice en ce sens. Effectivement, Joe entame une discussion avec le prisonnier attaché à un arbre. Le jeu de champ / contre champ s'effectue alors entre Joe, vu de derrière cet arbre occupant la quasi-moitié du plan, et le déserteur, vu de derrière Joe et de profil si bien que cela donne l'impression que le capitaine fait en réalité face à l'arbre, à la Nature donc, qui occupe presque un tiers du plan. De plus, il semble plus investi dans une analyse de l'écorce du tronc que dans la discussion, il est interpellé par la Nature mais préfère ensuite l'ignorer. D'ailleurs, le déserteur lui tient un discours qu'il refuse d'entendre, se retranchant à nouveau derrière l'idée qu'il n'est qu'un soldat obéissant aux ordres : « Moi, je faisais mon travail. Rien de plus. ». Il se persuade ainsi de sa différence avec le déserteur tandis que celui-ci affirme : « Nous savons tous les deux que ça pourrait être vous attaché à ces chaînes. ». Ainsi, la Nature s'oppose frontalement à Joe dans cette scène, dans la perspective de lui faire réaliser qu'il est dans le déni, qu'il rejette sa véritable nature et refuse de voir en face que le déserteur a raison, qu'ils sont fondamentalement les mêmes. Mais c'est la scène de la trouvaille du corps de Thomas Metz qui marque un tournant décisif chez Joe.


Une fois encore, l'homme est adossé à un arbre à la lisière de la forêt -contrairement à la dépouille du criminel qui gît face contre terre un peu à côté. Il se fond presque dans le paysage, ne faisant qu'un avec son environnement. De plus, l'arbre contre lequel le corps est appuyé est un sapin, symbole de lien entre le corps et l'esprit, en la terre et le ciel. Metz, en se donnant la mort, est donc parvenu à ce que Joe et Rosalie semblaient rechercher en creusant la terre dans les scènes analysées en introduction. A cet instant, un nouveau jeu de champs / contre champ s'opère entre Joe, qui apparaît bouleversé en gros plan, et le corps de Metz en fusion avec le tronc du sapin qui occupe presque un tiers du plan. Ce gros plan sur le visage de Joe montre qu'il fait enfin face à ce qu'il avait si longtemps renié et c'est sans doute à ce moment qu'il prend conscience d'une nouvelle issue pour lui, celle de la mort. La Nature lui montre, à travers ces deux scènes, que des voies diverses s'offrent à lui et qu'il lui appartient de devenir criminel de guerre, sombrer jusqu'à la mort ou poursuivre son chemin en opérant une remise en question qui lui offrira un avenir plus serein. Révélatrice de dualité elle s'impose alors aussi comme celle qui peut aider à y remédier ou, en tout cas, à trouver un équilibre qui permette à l'Homme d'être en phase avec sa nature profonde. D'ailleurs, suite à cette prise de conscience nous pouvons voir que Joe, placé devant le corps de son ami, se fond lui aussi dans le paysage et fait corps avec la Nature puisqu'il l'a enfin acceptée.


Par ailleurs, Yellow Hawk lui aussi semble en parfaite communion avec la Nature. Alors que son petit-fils lui rapporte un œuf dans une scène où l'harmonie et la sérénité sont montrées par un soleil éclatant dont les rayons chutent à travers les hauts arbres verts et espacés de la forêt, il dit : « Il [l’œuf] va me donner la vie ». Cette phrase crée un paradoxe avec la situation vitale du vieil homme qui vit ses derniers jours mais elle est très révélatrice sur le rapport des indiens à la Nature puisque c'est par elle que le chef semble vivre : « Mon corps est nourri par la terre ». De plus, lorsqu'il est mort le plan présente son corps d'un point de vue qui le place comme s'il était dans le ciel. Puis un fondu en transition, très lent, permet de superposer deux plans : celui de son linceul et celui de l'aube. Cela donne l'impression d'une élévation, d'une transcendance, comme si Yellow Hawk montait littéralement aux cieux et franchissait le pont entre ciel et terre. D'autant plus que le soleil se lève, comme une renaissance. Le même processus est remarquable lors de la mort des membres de sa famille à la toute fin du film.

Rosalie aussi paraît être en phase avec la Nature. Cela passe notamment par une phrase de Yellow Hawk qui lui dit merci pour sa « gentillesse et son esprit » et déclare : « Vous vous êtes en moi, et moi je suis en vous. » alors qu'il est l'incarnation même de la Nature. En outre, Rosalie incarne le moineau dont parle la chanson interprété par un soldat lors d'une nuit au camp : « All she can do is cry about her broken wings » comme peut le laisser suggérer le plan sur la femme dans sa tente à ce moment là. Elle est donc assimilée à un animal, renvoyant ainsi à la Nature. De surcroît, cette chanson confronte Rosalie à son deuil, à tout ce qu'elle a perdu, et la pousse à l'acceptation. Une fois résignée, Rosalie prend quasiment le statut d'une « Mère Nature ». Suite à l'enterrement de Metz, les soldats monte le camp et Joe est invité à partagé la tente de Rosalie. Lors de cette scène, celle-ci prend une position très maternelle et Joe s'en remet pleinement à elle tel un enfant cherchant du réconfort. En outre, Rosalie dit dans la scène suivante une phrase très éloquente : « On ne s'habituera jamais aux voies sinueuses du Seigneur, Joseph. ». Elle renvoie ainsi aux aléas de la vie, à tous les conflits intérieurs comme extérieurs qui peuvent animer l'existence d'un homme et qu'il faut accepter malgré tout car tous les chemins mènent au ciel, à la mort, à la Nature. Par conséquent, confrontés aux éléments naturels et, de cette façon, à leur condition d'Homme sous l'emprise d'une dualité et d'une finalité inexorable, les personnages se retrouvent face à un dilemme : accepter, ou nier jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour revenir en arrière.

Joe prend alors le parti de la résignation et finit par se confesser auprès du chef indien et donc auprès de la Nature. Dans cette scène, alors qu'il semble dans un premier temps accabler Yellow Hawk d'accusations implicites en citant ses camarades morts au combat, il déclare : « J'ai perdu beaucoup d'amis, et vous en avez perdus beaucoup aussi. ». Joe concède de cette façon qu'il y a eu autant de massacres d'un côté que de l'autre et assume pleinement ses actes sans se trouver d'excuse. A cela le chef répond : « Ce sont de grandes pertes pour nous deux mais nous savons que la mort nous attend tous. ». Ainsi, il lui donne le moyen de pouvoir vivre plus sereinement en étant en accord avec lui même, acceptant ses actions passées et sa condition d'homme empreint de dualité et destiné à mourir de toute façon. Joe semble adhérer à cette idée et dit après avoir serré la main de Yellow Hawk : « Ne regarde par en arrière mon ami. Part de la bonne façon. Une partie de moi meurt avec toi. ». Les deux némésis se trouvent alors apaisés et fusionnent dans la mort de l'indien. Une partie de Joe est alors en parfaite communion avec la Nature.Mais l'essence fondamentale de l'Homme ne peut être reniée et même s'il est soumis à la dualité il dispose d'une nature qui lui est propre et qui saura toujours reprendre le dessus. Cela est montré dans l'avant dernière scène du film durant laquelle Joe extériorise toute sa haine. Point de vue subjectif -en caméra portée- sur les corps des indiens tués par les hommes se revendiquant propriétaires des terres puis apparition de la musique allant crescendo, Scream At The Sky, cette même musique que dans la première scène décrite en introduction. Joe commet son ultime acte de vengeance, qui finalement n'est que justice pour lui dans le cas présent. Il tue à l'arme blanche et de sang froid un homme blanc et civilisé qui est non seulement responsable de la mort des indiens mais aussi, d'une certaine façon, d'une sorte d'échec. En effet, si Joe a ramené les indiens chez eux comme lui intimait sa mission il n'a pourtant pas su les protéger alors qu'ils étaient presque devenus comme ses hommes au cours de ce voyage, hommes qui sont d'ailleurs tous morts désormais. Or, depuis le début, Joe honore ses morts par la vengeance. Ainsi, sa nature profonde -meurtrière et dure- reprend le dessus et le guide dans cet acte prouvant que « jamais encore [l'âme fondamentale] ne s'est adoucie ». Cette scène fait évidemment écho à celle où Joe est seul hurlant dans le désert. Cependant, dans le cas présent le temps est ensoleillé, nous pouvons entendre les cris de la victime et la respiration de Joe. De surcroît, nous voyons en arrière plan un sapin, pont entre ciel et terre, vers lequel se dirigeait le propriétaire des terres mais auquel il n'est pas parvenu, rattrapé par Joe qui lui refuse la vie éternelle à travers la Nature. Par conséquent, si la scène se déroulant dans le désert expose un homme en pleine crise existentielle qui ne sait pas comment assumer ce qu'il est, cette scène dans la vallée montre que Joe a finalement accepté sa nature et qu'il sait désormais comment l'utiliser pour être en phase avec la Nature.


Dans la scène finale du film, Joe, Rosalie et Petit Ours -seul indien survivant de l'attaque- se trouvent à la gare, attendant un train à destination de Chicago. Il est remarquable que Joe hésite à partir puisque dans un premier temps il se dirige en direction de la sortie de gare mais il se retourne ensuite et le plan se resserre sur son visage alors que le choix s'offre à lui : suivre l'incarnation réconfortante de la Nature qu'est Rosalie ou retourner à la Nature sauvage et offensive. Il décide finalement de suivre Rosalie, seule issue raisonnable pour lui après avoir refusé de finir comme le criminel ou comme Metz. Il fait ainsi le choix d'être un « homme bien » comme le désigne Rosalie ou comme l'avait qualifié son soldat, gravement blessé, lors d'une visite à l'infirmerie à Winslow. Cependant, alors que le film semble s'achever sur une note positive, deux éléments viennent perturber cet optimisme. D'une part, le petit indien est habillé selon la coutume blanche et civile ce qui laisse présager une forme d'assimilation qui pourrait remettre en cause son identité et sa nature propre. D'autre part, le train quitte l'ouest en direction de la grande ville de Chicago, vers ce qu'il y a de plus civilisé et donc éloigné de la Nature. Ainsi, les personnages prennent un nouveau départ qui les mènera probablement tous vers de nouveaux conflits, parce que c'est ce qui alimente la vie.


En conclusion, Hostiles présente l'Homme confronté à ce qu'il refuse le plus d'accepter : sa dualité et sa condition. Dans le film, la Nature tient le rôle de fil conducteur mais également de révélatrice et s'impose comme une entité supérieure permettant la rédemption. En outre, elle invite à laisser de côté le déni de la nature humaine au profit d'une acceptation et d'une reconsidération dans le but de basculer du côté de la dualité qui est le plus apte à correspondre à l'individu. De plus, le film montre bien que l'essence même de l'Amérique est brutale, sauvage et assassine - fondée sur ce mythe qu'est la Destinée Manifeste - surtout à travers le personnage de Joe Blocker. Ce parti pris de Scott Cooper et le choix de réaliser un tel western en 2017 peut, par ailleurs, nous interroger. En effet, alors que Donald Trump simplifie la libre circulation et l'accès aux armes, à l'heure où l'Amérique connaît un taux considérable de tueries de masse chaque année et où les manifestations racistes et xénophobes se multiplient sous diverses formes, il semble que le message politique que véhicule ce film ne soit pas anodin. Néanmoins, le réalisateur laisse une porte de sortie aux Hommes : celle du choix, pouvant faire basculer toute une vie.
Charlotte.
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